En cette veille de la naissance du Christ, versons carrément dans le thème opposé.
La mort est sans aucun l’un de ces thèmes éternels qui ont, de tout temps, fait couler beaucoup d’encre. La dernière frontière, l’ultime voyage, le chemin dont on ne revient pas… La mort fascine, terrifie, repousse et attire. Quel esprit ne cherche pas à percer ses mystères ?
Dans la fiction aussi, la Grande Faucheuse joue un rôle prépondérant. Élément scénaristique d’une puissance sans égale, elle peut en un instant bouleverser l’atmosphère d’une scène, modifier l’équilibre des forces entre les personnages, affecter profondément et durablement leur état d’esprit, et jusqu’à changer toute la nature de l’histoire. Si une mort brutale survient dans ce qui ce faisait jusque-là passer pour une comédie romantique, l’évènement prendra en effet des proportions de catastrophe naturelle.
C’est précisément parce qu’elle a tant de poids qu’elle doit être maniée avec la plus grande délicatesse. Idéalement, la mort d’un personnage devrait toujours avoir un profond impact sur le lecteur ou le spectateur. Ce peut être une simple démonstration du contexte si l’histoire se déroule dans un environnement dangereux, comme en temps de guerre, ou la perte d’un personnage récurrent qui ne laissera personne indifférent.
La banaliser ou l’utiliser à tort ou à travers, c’est risquer de voir l’un des outils les plus puissants d’un créateur perdre de son efficacité.
L’un des torts les plus fréquents des séries populaires longues (du moins, celles qui s’y prêtent ; là encore, je ne parle pas de comédies romantiques) est de brandir la carte « Mort » à tout va pour essayer avec acharnement de renforcer la tension de l’histoire qui aura naturellement tendance à s’étioler au fil des épisodes ou des tomes.
Dans certains cas, cela se justifie parfaitement. Je pense ici aux livres et à la série télévisée Le Trône de Fer : bien que je ne les connaisse que de nom et de rumeur, il me semble évident que l’univers et l’atmosphère générale de l’histoire reposent en grande partie sur le péril constant que rencontrent les personnages, et les multiples morts qui y surviennent ne font que rendre la trame plus solide et convaincante.
Dans d’autres exemples, malheureusement plus nombreux, les créateurs sont moins avisés. Que dire du célèbre manga Naruto où les personnages décédés passent leur temps à revenir du voyage sans retour pour discuter gentiment avec les vivants ou les tabasser ? Et qu’on ne jette pas tout de suite la pierre aux japonais. D’autres sont coupables de la même faute, comme la série américaine Supernatural où, saison après saison, la résurrection devient de plus en plus à la mode.
Certes, tuer un personnage aimé du lectorat aura toujours un profond effet sur les fans. Certains, inconsolables, déclareront haïr la série et claqueront la porte pour de bon. Mais garder l’attention de ces quelques personnes vaut-il vraiment la peine de ridiculiser les scènes bouleversantes que cet évènement aura créées et l’impact sans égal qu’il aura laissé sur l’histoire ?
Attention, je ne dis pas pour autant que je ne supporte pas le principe de résurrection dans la fiction. Je suis comme vous : j’ai mes héros préférés, des petits rôles que j’adore, même des « méchants » dont je me suis entichée. Si ceux-là meurent, bien sûr que je serai éperdue et que je voudrai de tout mon cœur les voir revenir. Pour autant, s’il est bien une chose qui soit pire que faire le deuil d’un personnage, c’est se rendre compte qu’on l’a fait pour rien ; que sa mort n’a absolument pas fait avancer le schmilblick, qu’elle n’était là que pour meubler quelques chapitres, et que maintenant qu’il est revenu, tout redevient comme avant.
La résurrection, oui. Mais pas n’importe comment.
Plus encore que la mort, cette arme doit être utilisée avec une extrême parcimonie, et ne jamais, jamais se produire sans conséquence. Elle implique un grand bouleversement émotionnel chez le lecteur et doit être traitée en tant que telle.
Ne vous tirez pas une balle dans le pied. N’oubliez jamais qu’à chaque fois que vous ramenez un personnage que vous aviez fait passer pour mort, votre lecteur sera un peu moins enclin à vous croire quand vous essaierez d’en tuer un nouveau. Il se dira juste : « Bon, et celui-ci, quand est-ce qu’il revient ? »
À chaque résurrection, la Mort meurt un peu plus.
Et joyeux Noël à vous !
Permaliens
Bravo Drago pour toutes ces réflexions très enrichissantes. La mort ne se traite jamais à la légère et la résurrection non plus, c’est non seulement certain, mais indispensable.
Permaliens
Merci Aranck, heureuse de voir que tu es de mon avis.