Aujourd’hui, je fais d’une pierre deux coups : je fête la fin des corrections de mon roman de SF, « RÉEL », et je participe à l’opération « Les auteurs de SFFFH Francophones ont du talent » sur Facebook. En quoi faisant ? En vous présentant le tout début du livre.
Bonne lecture ! 😀
Un sifflement sinistre fut son seul avertissement. Neru planta un talon dans la terre meuble et se jeta sur le côté. Dans une déferlante de lumière écarlate, le sol explosa en une gerbe de poussière et de rocaille noire.
La déflagration l’assourdit momentanément et son souffle l’envoya rouler sur lui-même. Il se hissa sur ses jambes, un peu sonné, et reprit aussitôt sa course. Son équipe avait profité de son contretemps pour le rattraper. Il entendait le martèlement de leurs semelles juste derrière lui. Une nouvelle salve de sifflements résonna. Des boules d’énergie rouges fusèrent du ciel et s’abattirent sur la plaine sombre et désolée qu’ils traversaient. Par chance, elles les manquèrent toutes.
Tout là-bas, devant eux, l’ennemi poussa un hurlement de rage. C’était un vrai géant, un humanoïde de près de dix mètres de haut. Huit grandes ailes blanches jaillissaient de son dos et le portaient dans les airs. Une unique déchirure dans l’épaisse couverture nuageuse, stratégiquement placée juste au-dessus de lui, faisait pleuvoir des rideaux de lumière sur son armure étincelante, son casque finement travaillé, son épée gravée et sa gigantesque lance. Il leva cette dernière, pointe vers le bas. Elle frappa le sol avec tant de force que, même d’aussi loin, Neru vit les corps de combattants voler comme des fétus de paille.
— Ils sont en train de se faire massacrer ! s’écria Seth, alarmé.
— C’est notre chance, non ? suggéra Betti. Une fois qu’ils auront perdu, on n’aura plus qu’à terminer le travail !
— S’ils perdent, comment veux-tu qu’on ait la moindre chance de gagner ? dit Banon, amer. On n’est plus que quatre et Tane et ses gros bras sont largement meilleurs que nous en baston.
— Il a raison. Il faudrait un miracle.
Neru ne dit rien, concentré sur le rythme de sa course et le terrain irrégulier sous ses pieds. À chacune de ses inspirations, le vent déposait un faible goût de fer et de cendre sur sa langue.
— Hé, Neru !
Il jeta un coup d’œil à ses amis par-dessus son épaule. Ses mods le rendaient plus rapide qu’eux et il recommençait à prendre de l’avance.
— On laisse tomber ! C’est mort, on a perdu, insista Seth.
Neru leur adressa un rictus moqueur.
— Mais non, on n’a pas perdu. Je ne perds jamais !
Seth, Betti et Banon échangèrent un regard et un haussement d’épaules. Ils ralentirent quand même, revenant progressivement à l’arrêt où ils se mirent à épousseter leurs combinaisons intégrales maculées de terre noire. Presque aussitôt, une boule de lumière écarlate leur plut dessus et ils durent esquiver avec force cris de surprise et jurons.
Neru les abandonna, avalant la distance de ses longues enjambées. Il approchait du site de la bataille. Tane ne se serait pas hissé aussi haut dans le classement s’il était aussi crétin qu’il le laissait croire dès qu’il ouvrait la bouche ; les combats n’avaient pas de secrets pour lui. Pourtant, son groupe de guerriers se faisait méthodiquement massacrer par le géant ailé. Seule une poignée d’entre eux tenait encore tête lorsque Neru les rejoignit.
Un grand homme brun bien bâti remarqua son arrivée et darda sur lui un regard mauvais. La mâchoire forte, les yeux bleus, le sourire éclatant : l’avatar de Tane avait été soigneusement façonné pour taper en plein dans les archétypes de beauté masculine.
— Des envies de suicide, Neru ? railla-t-il. Tu t’imagines que tes précieux mods de luxe te suffiront à vaincre cette saleté tout seul ?
Piqué au vif, il ne répliqua pas. Tane ne ratait pas une occasion de se moquer de lui parce qu’il coulait tous ses points dans l’amélioration des capacités de son avatar plutôt que d’en faire un top model. Et pourtant, l’apparence de beau gosse de Tane et sa nanoarmure moulante achetées à prix d’or ne semblaient pas lui être ici d’une grande utilité.
Neru se faufila entre deux des combattants avec l’agilité d’une anguille.
— Tu n’es pas de notre équipe. Les règles t’interdisent d’interférer avec le combat ! mugit son rival, furieux à l’idée qu’il essaie.
Neru l’ignora et traversa le champ de bataille. Il n’avait parcouru que la moitié du chemin lorsqu’une ombre tomba sur lui. Il évita de justesse l’énorme semelle qui faillit l’aplatir.
Le géant s’était posé. D’un seul moulinet de son épée, il transforma les guerriers restants en pluie d’étincelles et mit fin à l’affrontement.
Neru s’enfuyait toujours de toute la force de ses jambes. Il sentit un regard brûlant sur sa nuque. Bon sang, Tane n’aurait-il pas pu lui servir de distraction quelques secondes de plus ? Devant lui se dressait à présent une immense falaise de pierre noire. Une façade du même matériau, richement gravée, s’y encastrait en haut d’une longue volée de marches. Trois ouvertures en ogive béaient sur un intérieur obscur.
— Boost ! cria-t-il, enclenchant l’un de ses précieux modules à usage unique.
Son avatar fit un bond impressionnant, presque un vol plané, au moment où il sentit le souffle de l’épée lui effleurer le dos. Il atterrit au sommet de l’escalier. Son cœur s’était logé dans sa gorge et lui battait jusque dans les amygdales. Il l’avait échappé belle !
Il jeta un coup d’œil derrière lui. Comme il l’avait prévu, le géant avait perdu tout intérêt pour sa personne dès qu’il était entré sur le territoire du temple. Il s’était détourné et cherchait ses prochains ennemis… Neru réalisa en même temps que lui qu’il n’en avait plus que trois : Seth, Betti et Banon, qui attendaient Neru plus loin sur la plaine. Le guerrier leva sa lance au ciel avec un cri belliqueux. La chute des projectiles rouges redoubla soudain d’intensité. D’un grand battement d’ailes dont le vent faillit soulever Neru de terre, il prit son envol.
Neru se précipita à l’intérieur du temple, paniqué. Où était ce fichu autel ?
Il trouva la statue de granit au fond de l’unique pièce, éclairée par un rayon de lumière qui tombait d’une ouverture ronde dans le plafond. Elle représentait le géant ailé en échelle réduite — à peine trois mètres de haut. Sans se soucier de l’atmosphère de sainteté des lieux, il courut à elle, fouillant déjà la poche de sa combinaison. Il en sortit un cylindre doré qu’il fourra dans le trou qui perçait la poitrine du guerrier à l’emplacement du cœur. La statue s’illumina d’une douce lueur blanche.
Neru retourna dehors, espérant avoir agi à temps.
Il soupira de soulagement. Le géant ailé était suspendu dans les airs juste au-dessus des silhouettes de ses trois amis. Banon aidait Betti à se relever, mais elle tenait encore sur ses jambes.
Quant au guerrier, ses quelques blessures avaient disparu. Immobile, il était nimbé du même halo trouble que sa représentation de pierre. Il leva le visage au ciel et écarta les bras. Il était l’image même de la contemplation divine. Les lourds nuages sombres qui jusque-là grondaient au-dessus du terrain du jeu se dissipèrent en quelques instants, poussés par un agréable vent chaud. La lumière du jour devint si forte que Neru dut se protéger les yeux. L’armure et les armes du géant s’évanouirent comme des mirages. Il ne resta plus de lui qu’un homme aux longs cheveux blonds, sa toge blanche flottant sous une brise légère, son doux visage reflétant un amour infini et miséricordieux. Il donna un coup de ses huit magnifiques ailes et disparut dans le ciel.
Immédiatement, le temple et la plaine noire se décomposèrent autour de Neru. Après une seconde de chargement des données, il réapparut au centre d’un large plateau rond.
Tout autour de lui, des gradins accueillaient rangée après rangée de spectateurs. Leurs fantasques coiffures, improbables couleurs de peau et provocantes tenues se fondaient les unes dans les autres jusqu’à ce que seules des impressions confuses ressortent de la masse : ici une ramure de cerf perchée sur une tête d’homme, là un nez rouge clignotant. Tane et ses partenaires faisaient grise mine quelque part à mi-hauteur. Seth, Betti, Banon et la douzaine de joueurs qui composaient le reste de leur équipe encadraient Neru sur le plateau… mais il était le seul d’entre eux planté au milieu d’une colonne de lumière qui le rendait aussi visible qu’une guirlande de Noël.
— Bravo ! scanda une voix sonore.
Une fine canne noire coincée sous le bras, Roman Saut d’Étoile frappa dans ses mains et adressa un éblouissant sourire à Neru. L’animateur était tout de blanc vêtu, d’un élégant costume à queue-de-pie assorti d’un haut de forme perché sur ses cheveux blonds. Un discret motif de plumes parsemait son veston.
— Quelle magnifique victoire ! Alors que tout semblait perdu, un homme, envers et contre tout, résout l’ultime énigme cachée. Un tonnerre d’applaudissements pour Neru de l’équipe trente-sept !
Des acclamations nourries s’élevèrent volontiers. Le volume de la bande-son préenregistrée était tel qu’il noya l’enthousiasme poli des spectateurs. Mal à l’aise sous le feu des projecteurs, Neru réussit un sourire crispé.
Roman se tourna vers un homme resté en retrait à sa gauche. De taille moyenne, le cheveu poivre et sel, il avait une apparence parfaitement banale. C’était peut-être la plus sure manière de trancher avec l’excentricité ambiante.
— Qu’en dit notre Maître du Jeu ? lui demanda Roman. Quelques mots pour notre vainqueur, Sasha ?
La nervosité de Neru redoubla lorsqu’il reconnut celui qui s’avançait : Sasha du Nord, l’un des meilleurs joueurs de RÉEL. L’homme le transperça d’un œil bleu pâle indifférent.
— Bien joué, se contenta-t-il de dire, aussi laconique que sa réputation le décrivait.
Neru essaya de cacher sa déception. Il admirait beaucoup Sasha. Il avait espéré lui laisser une plus forte impression en battant le jeu qu’il avait conçu. Roman ne se laissa pas désarçonner et poursuivit, ouvrant grand les bras dans un élan théâtral :
— Oui, bien joué ! L’équipe trente-sept est donc la grande gagnante de ce deux-cent-trente-quatrième tournoi mensuel. Neru remporte le meilleur score et reçoit dix mille points RÉEL. Les autres membres de l’équipe trente-sept, vaincus ou non, reçoivent chacun cinq mille points RÉEL. Tous les autres joueurs reçoivent un nombre de points proportionnel à leur succès dans le jeu. Merci à tous d’avoir participé !
Il eut à peine terminé sa phrase qu’un joyeux carillon retentit. Neru sursauta. Le bruit avait surgi de son avatar. Il maudit sa chance lorsque Roman reporta son attention sur lui, étonné. Un halo doré enveloppa un bref instant Neru, visible même à travers la lumière qui le baignait toujours. L’animateur sourit.
— Eh bien, on dirait que nous avons un nouveau panthéonien parmi nous aujourd’hui. Puis-je être le premier à te féliciter, Neru ?
Neru serra la main gantée de Roman et marmonna un remerciement, les joues chaudes. Heureusement, il n’avait pas programmé son avatar pour reproduire ses rougissements. Une nouvelle salve d’applaudissements fusa et il vit Seth et Banon échanger des coups de coude excités dans son dos.
— Voilà une parfaite transition pour l’annonce qui va suivre ! s’écria Roman. Joueurs et joueuses de tous horizons, j’ai l’honneur de vous apprendre aujourd’hui… la tenue d’un tournoi très spécial. Un grand tournoi anniversaire, pour fêter vingt ans de jeux et de divertissement sur le réseau RÉEL. Le Tournoi du Futur !
Des gerbes de couleurs explosèrent tout autour du plateau pour plus d’emphase. Les spectateurs se mirent à murmurer entre eux. Neru écarquilla les yeux et les oreilles. Il n’avait entendu parler de rien de tel. À en juger par l’air soudain attentif de Sasha, lui non plus.
Roman fit tourbillonner sa canne, très satisfait de son petit effet.
— La société Prodig, créatrice et gérante de RÉEL, souhaite faire de ce tournoi un évènement dont on parlera encore longtemps. Pour cette raison, le grand prix qui récompensera le gagnant est à la hauteur des épreuves exceptionnelles concoctées par nos développeurs.
Des chiffres de feu s’allumèrent dans les airs.
— Vingt millions de points RÉEL ! martela Roman, et un montant si astronomique méritait bien une telle mise en scène.
Neru en resta bouche bée. Roman attendit que le brouhaha de l’assistance revienne à un volume acceptable. Un sourire énigmatique plissait ses lèvres.
— Ainsi que, ajouta-t-il d’une voix douce, et Neru se demanda comment on pouvait espérer surenchérir là-dessus, ainsi qu’un honneur suprême encore inédit à ce jour : la création d’une Intelligence Artificielle de toute dernière génération, entièrement personnalisée selon l’apparence et la personnalité de notre grand gagnant. Cette IA représente une immense avancée dans le futur de RÉEL et sera à terme amenée à gérer bon nombre des fonctions du réseau. De quoi laisser votre empreinte indélébile sur le monde virtuel !
D’accord. Il fallait l’avouer, c’était impressionnant.
Sortie en janvier ou février 2015. N’hésitez pas à suivre ce blog ou à vous inscrire à ma newsletter pour vous tenir au courant.
Permaliens
Ohoho, j’ai hâte de laisser trainer mes mirettes sur ton nouveau roman *o*
Cet extrait se lit d’une traite, ya pas à dire, t’as une très jolie plume, Dragon. Alors bon, si tu causes de réalité virtuelle, forcément, t’as attrapé la grenouille dans tes filets.
Vivement 😀
Permaliens
Tu me vois ravie de cette belle prise ! (alors, mes recettes de cuisses de grenouille…) Très heureuse que ça te plaise. <3
Permaliens
J’t’en mettrai des recettes de cuisses de grenouille, méchante :'(
Des pistes pour la couverture ? 😛
Permaliens
Ce coup-ci, je vais tenter de la faire moi-même (enfin, à partir d’images libres de droits, ne nous leurrons pas). Je réfléchis, je réfléchis…
Permaliens
Eh ben, c’est très accrocheur, comme début, bravo! Même moi qui déteste les MMORPG, ça me donne presque envie de m’y remettre… Mais il y a peu de chances que j’en trouve un aussi prenant que celui de ton histoire. (Plus de poussière rouge, les développeurs!) Tu as un style très agréable à lire, et il me semble que tu as fait de sacrés progrès niveau descriptions: on se sent toujours plus facilement happés par tes histoires.
Dans cette introduction, on a un bon aperçu de la personnalité de Neru: pragmatique, futé et bon tacticien, mais aucun sens du travail d’équipe et plutôt du genre à faire cavalier seul. Mais mine de rien, vu comme il se laisse absorber par son jeu et les adjectifs employés pour le décrire, on le devine très admiratif des prouesses techniques qu’il y a derrière le design et le fonctionnement de REEL. Et puis c’est assez touchant de se dire que, s’il recherche la reconnaissance des rares joueurs qu’il admire, il est en revanche extrêmement mal à l’aise sous les ovations d’une foule; comme quoi il a tout de même une certaine humilité.
…Il va vite falloir que tu le décrives physiquement, lui ou son avatar, parce que jusqu’à ce que tu le fasses, je ne vais pas pouvoir m’empêcher de visualiser Neku à sa place. ^^;
Pour la couverture, si tu as encore besoin de mes services, n’hésite pas! Je suis toujours partante. Cela vaut aussi pour le second volume des « Enfants de Prométhée » d’ailleurs. Dans tous les cas, très bonne continuation!
Permaliens
Merci beaucoup, tous ces compliments me touchent ! Je suis très heureuse que la personnalité de Neru soit aussi facilement perceptible, même avec juste ces quelques pages. Tu m’en vois super fière ! Et les descriptions arrivent dans le chapitre 2, haha (il n’est pas roux, déjà XD).
Je ferai définitivement appel à toi pour le tome 2 des « Enfants de Prométhée ». Tu peux y compter !
Permaliens
Aaah, génal ! J’ai hâte d’en savoir plus 😀
Permaliens
Ravie que ça te plaise ! <3