Pour rester dans la zone d’ombre du droit d’auteur, les fanfictions ne peuvent entraîner de gains financiers directs.
Tous les acteurs du milieu vous le diront. Un fanzine (magazine regroupant des fanfictions et fanarts sur un sujet donné) ne peut être vendu qu’à prix coûtant. Aucun bénéfice n’est autorisé.
Il existe cependant une exception : lancée en mai 2013 par Amazon, la plate-forme Kindle Worlds a la prétention de faire de la fanfiction un bien de consommation culturel comme les autres.
Le principe de Kindle Worlds est simple. Amazon approche les ayant-droits d’un univers et acquiert une licence qui lui permet de vendre des histoires basées sur cet univers. Dès lors, n’importe qui peut soumettre sa fanfiction sur Kindle Worlds, qui décidera d’un prix et la proposera à la vente. Elle sera aussi représentée sur Amazon comme n’importe quel ebook. L’auteur de la fanfiction recevra un droit d’auteur de 35% du prix de vente, ou 20% dans le cas des textes de moins de 10 000 mots.
Ces droits sont significativement inférieurs à ceux proposés par Kindle Direct Publishing, le service de publication « classique » d’Amazon, lesquels montent généralement à 70%. Mais comme Amazon doit payer la licence d’exploitation, cela n’a rien d’étonnant.
Le système semble donc, à première vue, plutôt raisonnable. Mais évidemment, il y a des bémols.
Éligibilité
Pour commencer, n’espérez pas vous lancer vous-même dans l’aventure. Quand je dis que n’importe qui peut soumettre sa fanfiction, en réalité, cela ne s’applique qu’aux américains de plus de 18 ans.
La faute, j’imagine, à la complexité du droit d’auteur international et à la difficulté d’obtenir une licence d’exploitation qui s’applique au-delà des frontières. Autant dire que le problème n’est pas prêt d’être réglé. Nous, pauvres petits francophones, en sommes donc quittes pour n’être que de potentiels lecteurs.
Univers
Depuis son lancement il y a 4 ans, le catalogue d’univers de Kindle Worlds s’est étoffé.
Hélas, il compte tout de même peu de grands noms. Si on y retrouve des séries TV familières comme The Vampire Diaries, Pretty Little Liars ou Veronica Mars, l’apparition inattendue de G.I. Joe, ou encore le succès d’autopublication Silo de Hugh Howey, nombre des franchises disponibles me sont quant à moi parfaitement inconnues. (Voir ici pour la liste complète.)
Pire : elles correspondent très peu aux univers les plus populaires parmi les auteurs de fanfictions. Inutile d’espérer trouver une histoire Harry Potter sur Kindle Worlds. Je pense que s’ils avaient eu la moindre chance de se procurer cette licence, ils auraient bondi sur l’occasion depuis longtemps.
D’un autre côté, les curieux peuvent du coup découvrir et s’intéresser à des franchises dont ils n’auraient jamais entendu parler autrement. C’est l’occasion pour des auteurs de faire découvrir leurs romans par la petite porte.
Restrictions de contenu
Toutes les fanfictions soumises doivent être vérifiées et validées avant d’être mises en vente, et tous les contenus ne sont pas autorisés. Par exemple, exit les crossovers (histoires tentant de fusionner plusieurs univers, ou de déplacer un personnage d’une franchise dans le monde d’une autre).
Les ayant-droits de chaque univers imposent également leurs propres contraintes. Cela peut aller du puritain, comme l’interdiction de langage grossier ou de toute mention à la drogue, au bizarre : le méchant de G.I. Joe ne peut être représenté comme étant fan des Yankees.
Difficile de s’y retrouver dans toutes ces règles, d’autant que certaines sont pour le moins subjectives. Comment savoir ce qu’Amazon interprétera comme du « contenu offensant » ?
Cessation de droits
Un autre souci, qui peut en refroidir plus d’un, est que tout élément original inclus dans une fanfiction publiée sur Kindle Worlds appartient dès lors à l’univers choisi.
Cela signifie que si, par exemple, un auteur crée un nouveau personnage pour sa fanfiction, ce personnage peut dès lors être utilisé par n’importe quel auteur de fanfiction de cet univers, ou bien carrément par les ayant-droits de la franchise, et ce sans qu’il ne puisse demander la moindre compensation financière. Il lui sera aussi légalement interdit de le réutiliser dans un autre contexte.
Autant dire qu’il vaut mieux ne pas se montrer trop créatif.
La culture fanfiction
A l’heure d’aujourd’hui, la fanfiction est un phénomène en pleine ampleur, pourvue d’un véritable vivier d’auteurs et de lecteurs. Il n’est pas étonnant qu’Amazon cherche à en faire un nouveau marché.
Mais les points présentés ci-dessus sont autant de barrières au transfert d’un adepte de fanfiction du gratuit vers le payant :
- Beaucoup d’auteurs sont des adolescents. Même quand ils sont américains, ils ne sont donc pas éligibles pour Kindle Worlds.
- Comme je le disais plus haut, les univers les plus populaires ne sont pas sous licence.
- Les restrictions de contenu « mature » sont un vrai problème quand on sait que les scènes de sexe sont souvent plébiscitées dans les fanfictions. De même pour les histoires de relations homosexuelles, qui n’ont pas toujours été très bien reçues dans le circuit Kindle classique par le passé.
Mais de manière générale, Kindle Worlds se heurte tout simplement à la culture fanfiction. Car si E.L. James, l’auteure de Cinquante nuances de Grey, n’a eu aucun remords à modifier sa fanfiction à succès pour en faire un roman commercialisable (je rappelle pour ceux qui l’ignoreraient que Cinquante nuances était à la base une fanfiction de Twilight), pareille démarche en a offensé plus d’un dans le milieu.
Pour nombre de ses amateurs, la fanfiction est un acte de partage, un échange entre fans d’un même univers. Peu envisagent de la monétiser. Cette position est d’autant plus frappante que ces mêmes personnes n’hésiteront pas à payer pour un fanart de leurs personnages préférés, y voyant une autre forme d’art. Mais ceci est un autre débat.
Et donc ?
Kindle Worlds n’est pas pour autant en faillite. S’il est évident que la plate-forme n’a pas atteint le succès qu’escomptait Amazon, elle compte tout de même ses aficionados.
Ce qui est intéressant, c’est que ces personnes qui la font vivre, qu’ils soient auteurs ou lecteurs, ne viennent bien souvent pas de la fanfiction. Ce sont des gens qui s’intéressaient peu au phénomène, jusqu’à y trouver l’opportunité d’acquérir de nouveaux lecteurs (dans le cas d’auteurs déjà auto-publiés chez Kindle) ou de prolonger un univers chéri de manière parfaitement légale.
Kindle Worlds est donc devenu un étrange marché de niche, un microcosme qui tente de dupliquer les codes de la fanfiction, mais se tient tout à fait séparé de son inspiration de base.
[ Pour approfondir (en anglais) :
La FAQ de Kindle Worlds : https://kindleworlds.amazon.com/faqs
Une analyse très complète de Rebecca Tushnet, professeur en droit : https://www.law.berkeley.edu/files/Tushnet_Rebecca_IPSC_paper_2014.pdf
Le retour d’expérience d’un auteur Kindle Worlds : https://www.linkedin.com/pulse/20140509165015-5182010-the-good-and-the-bad-of-kindle-worlds ]
Permaliens
Je ne suis pas intéressé..
Permaliens
J’ai trouvé ton article très intéressant pour ma part. Je ne connaissais pas l’existence de cette « plateforme » sur Amazon et mon avis sur la question est plutôt négatif. Comme tu l’as dit pour moi la fanfiction est un échange entre fans, une façon de faire durer le plaisir, de partager notre vision personnelle d’un personnage ou d’une œuvre, même peut-être une forme de liberté d’expression.
La question du droit d’auteur est un sujet épineux et il est difficile de définir ou est la limite. Je pense que tant qu’il n’y a pas de gain financier de la part de l’auteur de la fanfic alors cela devrait être possible. Mais certains auteurs -comme Robin Hobb par exemple- ne supportent pas l’idée que d’autres puissent utiliser leurs personnages, ils se sentent comme abusés, trahis, en tout cas cela les heurte dans leur sensibilité. Je crois que l’on peut débattre longtemps sans trouver de solution 🙂
Permaliens
Absolument, la fanfiction évolue vraiment sur une corde raide sur ce sujet. C’est pour ça qu’une initiative comme Kindle Worlds n’est pas inintéressante, même si c’est purement mercantile pour Amazon. Au moins des auteurs et lecteurs y trouvent-ils leur compte…